Nouvelles

Éditions GOPE, 204 pages, 11 x 17 cm, 15.75 €, ISBN 979-10-91328-53-1

dimanche 23 septembre 2018

Extraits

Table des matières

1 - LA POÉSIE DU REQUIN BLANC
  • Le goût de l’amour ___________ p. 7
  • Body art ___________________ p. 11
  • La poésie du requin blanc _____  p. 25
  • Bascule avec moi ____________ p. 36
  • I wanna be loved by you ______ p. 46
  • Requin blanc vs poisson-chat __ p. 58


2 - AU PAYS DES VIVANTS
  • L’ogre de Ban Pa Sang ______ p. 89
  • Hatsuyume __________ _____ p. 105
  • Allumez le feu __ _____ _____ p. 112


3 - GAULOISERIES DU SIAM

  • Lady drink _______________ p. 135
  • Old Girl _________________ p. 157
  • Happy Ending ____________ p.176





Extraits de La poésie du requin blanc et autres gauloiseries du Siam
Nouvelles de Cyril Namiech


[…] Je suis ce qu’on appelle un prédateur sexuel. Des billets plein les poches, j’achète tout ce qui bouge – et me plaît. Bangkok est mon terrain de chasse favori. Ici, je suis connu sous le nom de White Shark (Requin Blanc). Les caissières des trois mille 7-Eleven que compte la capitale thaïlandaise ont toutes entendu parler de moi. Je suis l’homme à ébattre. Les filles se repassent le tuyau. La pharmacienne du Soï 7 m’offre chaque semaine un tube de vitamine C, des fois que je vienne à lui proposer 10 000 bahts pour la nuit – comme je l’ai fait avec sa consœur du Soï 11, une certaine Wasana. La responsable de l’agence de la Siam Commercial Bank où je convertis mes euros en bahts m’adore. Elle m’accorde le meilleur taux de change de tout Bangkok. Supawadee Wangkeaw, c’est son nom, est déjà venue trois fois dans ma chambre, par amour des activateurs de jeunesse Lancôme qu’elle se paie avec l’argent que je lui donne. J’ai aussi monté la fille d’un député rencontrée dans un magasin d’instruments de musique – elle essayait un violoncelle chinois. J’ai mis carte – bancaire – sur table. On a fini à trois dans mon lit, elle, le violoncelle chinois et moi. White Shark est irrésistible. […]

(Extrait de La poésie du requin blanc)


[…] Dans la galerie d’art, les visiteurs sentent le propre. Il y a de nombreux étrangers. Des admirateurs et des collectionneurs venus de pays lointains. Et des Thaïs issus de la haute société. Aucun ne porte de tongs ou de short de plage. Ici, c’est bon chic bon genre. Chemises Hugo Boss et pantalons Balenciaga. On s’est brossé les dents avant de venir. On affiche des sourires éclatants. On s’est aussi beaucoup parfumés. Ainsi apprêtés, il est plus facile de côtoyer l’abominable, de goûter à la putrescence et de jouir de l’infâme. Je mets les mains derrière le dos pour faire comme tout le monde. Une consigne a peut-être été donnée en ce sens pour éviter de se boucher le nez. Les peintures de Kritsana Patcharaphol empestent le macchabée. D’accord, l’expo s’intitule Mauvaises haleines. Mais de là à se délecter du parfum de la mort…
Un vieux Thaï, ex-professeur d’université, se présente à moi : « L’haleine est l’entrouvert du corps, libère-t-il en posant sa main sur mon épaule. L’air arrive tout droit du dedans où les organes se décomposent en sourdine. En prêtant une oreille attentive, on doit pouvoir entendre pourrir les viscères. Ne nous y trompons pas : la peinture de Kritsana Patcharaphol n’est pas uniquement olfactive. Elle est aussi auditive… »
Manquerait plus que les tableaux se mettent à péter ! 
« Tout le génie de Kritsana Patcharaphol, enchaîne l’ex-professeur d’université, est de pouvoir représenter cette substance impalpable qui émane du dedans et embue le dehors… »
Je me noie dans les paroles du vieil érudit. Nui, où es-tu ? J’ai besoin d’une bouée de sauvetage. Ramène tes gros nichons ! […]

(Extrait de Requin blanc vs poisson-chat)


[…] Comme tous les jeudis après-midi, tensiomètre à la main et stéthoscope au cou, je suis allé m’enquérir de la santé de père Santi. Le bonze en chef affiche une tension de 146/85, ce qui, étant donné son âge, 66 ans, est plus que parfait.
— Vous avez une tension de jeune homme, père Santi. Et toujours aussi constante.
— Il n’existe rien de constant si ce n’est le changement, réplique le moine.
Le pouls du vénérable bonze est de soixante-douze pulsations par minute et sa saturation en oxygène est de 96 %. Je l’ai déclaré « apte » pour le service, ce qui, une fois encore, l’a fait sourire.
Père Santi m’a remis le journal de la veille. Il tient à ce que je m’informe des nouvelles du monde. Je lui ai dit que sa démarche n’était pas très bouddhiste, lui qui répète sans cesse qu’il faut se débarrasser de l’attachement qu’on a pour les choses. Ne faut-il pas justement se détacher du monde ?
— Le détachement est facile quand on connaît la vraie nature des choses, dit le moine. Cela ne nous empêche pas de nous intéresser au monde dans lequel nous vivons, encore faut-il auparavant s’être libéré du Moi pour n’éprouver ni tristesse ni colère.
Très bien, vénérable bonze. Alors, que dit le monde, aujourd’hui ? Ne lisant pas le thaï, je demande au religieux de me faire un résumé des nouvelles du monde. Des touristes russes sont morts dans un accident d’autocar à Phuket, des opposants au Premier ministre se sont immolés dans les rues de Bangkok, un chien a retrouvé un bébé vivant dans un sac poubelle… Assurément le monde se porte à merveille. Je n’éprouve ni tristesse ni colère. Serais-je subitement devenu sage ? Père Santi, journal à la main, me présente la photo de trois jeunes étudiantes thaïlandaises.
— S’enfoncer des tampons imbibés de vodka dans le vagin pour se saouler plus vite et plus efficacement serait la dernière pratique à la mode chez les jeunes, me dit le moine sans même un soupçon de colère, d’agacement ou de pitié dans la voix.
Le bonze en chef, s’il avait été catholique, aurait fait un signe de croix, suivi d’un « prions pour ces âmes égarées ». Il s’est contenté de dire : « Si le problème a une solution, il ne sert à rien de s’inquiéter. Mais s’il n’y a pas de solution, s’inquiéter ne changera rien. » Puis, père Santi a brièvement commenté la victoire du Real Madrid en finale de la ligue des Champions. […]

(Extrait de L’ogre de Ban Pa Sang)


[…] À l’étage, il n’y a que trois chambres occupées par des Occidentaux. Les autres hébergent des Indiens, des Arabes et des Chinois. Que les choses soient claires, le papa de mon futur enfant ne sera ni indien ni arabe, encore moins chinois. Je ne veux ni d’un bébé poilu ni d’un bébé aux yeux bridés et foncés. Je n’ai rien contre les Indiens, les Arabes et les Chinois, mais je souhaite offrir un avenir radieux à mon futur enfant. Les superstars thaïlandaises sont exclusivement eurasiennes ou amérasiennes. Je n’ai donc à ma disposition que trois hommes blancs. Le premier se prénomme Jérôme, un Français âgé de 38 ans, visiblement pilote d’avion au regard de son uniforme. Problème : ses yeux sont aussi noirs que les miens, or je rêve d’un bébé aux yeux clairs. Le second s’appelle Angus, 56 ans, originaire du Canada. Obstacle, et non des moindres, l’homme est gros. Un bébé de concours ne peut pas être gros. Dommage, Angus est un monsieur très propre. Il possède deux déodorants, change de boxer trois fois par jour et utilise des préservatifs parfumés à la fraise qu’il enroule de papier toilette après l’amour avant de les jeter dans la poubelle de la salle de bain. Le troisième, c’est Jesper, mon candidat préféré, un homme d’affaires danois âgé de 42 ans. Il est grand, à peau très blanche, et blond aux yeux vert émeraude. Il sent bon l’Ultra Mâle de Jean-Paul Gautier. Il fréquente le centre de fitness et ne prend aucun médicament si ce n’est de la vitamine C dont le tube repose sur la table de chevet. Jesper Sorensen a tout du papa idéal. Le jour J, en principe après-demain, espérons qu’il s’acoquine avec une fille pour la nuit et qu’il n’oublie pas d’enfiler – et surtout de remplir – le préservatif providentiel. Mon bébé, si tout se passe comme Maman a prévu, ton papa sera danois. Comme lui, tu seras grand et blond aux yeux clairs. D’après ce que je crois savoir, les Danois sont des hommes robustes. Ils se nourrissent de poissons et dorment dans des igloos. Et puis, cerise sur le gâteau, ils chérissent un roi, tout comme nous. Tu auras donc deux rois pour te porter chance, mon enfant. […]

(Extrait de Old Girl)


[…] Avec les aspirants bouddhas, on joue parfois au football, à trois contre trois, dans la cour du temple débarrassée des énergies négatives. Luang Pô To, qui aime voir ses bouddhas épanouis aussi bien spirituellement que physiquement, n’y voit pas d’inconvénient. Il aime la façon dont mes pieds caressent le ballon. Était-il fan de Garrincha dans une vie antérieure ? Cache-t-il un tatouage de Lionel Messi sous sa robe monastique ? Est-il lui aussi un adepte du passement de jambes ? L’art d’éliminer, de tromper et de se jouer de l’adversaire n’est pas très bouddhiste – et faire l’amour au ballon encore moins. Pourtant Luang Pô To semble apprécier mes dribbles chaloupés. Cependant, le maître des lieux nous impose de jouer pieds nus. Il dit qu’ainsi, dans un avenir plus ou moins proche, chacun d’entre nous pourra s’essayer à l’itinérance et marcher pieds nus le long des routes d’un pas léger et naturel sans éprouver la moindre douleur – devenir à mon tour le héros de ce sempiternel road-movie bouddhiste qui se joue au quotidien sur le goudron brûlant des routes de Thaïlande, je veux ! […]

(Extrait de Happy Ending)

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